Le Gouvernement fédéral a élargi la liste des pratiques commerciales déloyales de la loi du 28 novembre 2021, plus connue sous le nom de loi UTP. Fevia se réjouit de cette initiative. Elle permettra à nos entreprises alimentaires de renforcer leur position. Mais pour rétablir l'équilibre à long terme, les agriculteurs et les entreprises alimentaires ont besoin de mesures structurelles.
Fevia salue cette initiative
Depuis des années, Fevia demande que nos entreprises disposent de plus de leviers pour assurer leur compétitivité. Ce n'est un secret pour personne que les négociations annuelles entre les fournisseurs et les chaînes de supermarchés sont souvent difficiles. Dans cette négociation, les deux parties ne sont évidemment pas à armes égales. La chaîne alimentaire ressemble à un sablier dont les supermarchés sont le goulot, ce qui leur confère un pouvoir de négociation disproportionné. Malheureusement, cette position donne régulièrement lieu à des abus.
Au début de l'année, les manifestations d'agriculteurs ont fait en sorte que la situation précaire des entreprises agricoles et alimentaires redevienne une priorité de l'agenda politique. Ces manifestations ont créé une dynamique visant à corriger le déséquilibre de pouvoir qui existe toujours dans la chaîne.
Les secteurs agricole et alimentaire sont étroitement liés et constituent des partenaires solides. Les entreprises alimentaires sont confrontées aux mêmes préoccupations que les agriculteurs. Nous avons également tous intérêt à évoluer vers une chaîne de valeur dont chaque maillon peut être rentable.
Il est donc important de renforcer et de clarifier la liste des pratiques commerciales déloyales. Le fait que ces pratiques soient explicitement interdites et que les conditions soient clairement définies dans un arrêté royal (AR) donne aux fournisseurs une plus grande certitude et, espérons-le, une plus grande marge de manœuvre pour les dénoncer. Cet AR met un terme à certaines pratiques déloyales persistantes auxquelles les entreprises alimentaires sont trop souvent confrontées.
Ajouts à la liste noire : pratiques toujours interdites !
Interdiction de retirer injustement des produits des rayons (déréférencement)
La Fevia demande depuis l'introduction de la loi UTP d'interdire explicitement le déréférencement déloyal, car cette pratique est malheureusement courante, et pas seulement vis-à-vis des grands fournisseurs, bien que seuls ces derniers fassent généralement parler d'eux. Cette situation exerce non seulement une forte pression sur ces grands fournisseurs, mais envoie également un signal d'alarme aux autres fournisseurs (plus petits).
L'ajout dans l’AR prévoit que la menace de retirer les produits agricoles et alimentaires des rayons ne peut pas être utilisée comme moyen de pression contre le fournisseur lorsque celui-ci souhaite exercer ses droits contractuels ou légaux et ce d’autant plus lorsque ce déréférencement n’est pas justifié par les pratiques honnêtes du marché. L’AR précise aussi expressément que les acheteurs ne peuvent plus retirer des produits des rayons sans justification ni préavis écrit.
Il est à noter qu’il ne s’agit en aucun cas d’une interdiction de la possibilité de déréférencer des produits afin de s’adapter aux préférences des consommateurs ou suite à une modification de l’offre proposée par le distributeur. A titre d’exemple, lorsque l'acheteur est confronté à des augmentations de prix imposées par un fournisseur mais non justifiées par le contrat, l’acheteur conserve le droit de décider de retirer les produits concernés des rayons, tout en respectant la nécessité d’une justification écrite préalable.
Les dommages ne peuvent plus être imposés automatiquement et doivent être justifiés
Fevia a reçu de nombreuses plaintes de la part d'entreprises qui ont dû payer un afflux d'indemnités depuis la crise ukrainienne. À tel point que l'on peut se demander si les détaillants ne l'utilisent pas comme un modèle de revenu alternatif.
Avec cet AR, les clauses de dommages et intérêts ne peuvent être raisonnablement réclamées à l'autre partie que si un manquement contractuel est imputable à ce co-contractant. Ces clauses de dommages et intérêts doivent toujours être justifiées (plus imposées automatiquement) et l'indemnisation demandée doit être proportionnelle au préjudice subi.
Fini la compensation automatique
Afin de protéger les clients contre la compensation unilatérale et injustifiée par l'acheteur de dommages et intérêts, il a été décidé d'interdire la compensation effectuée unilatéralement et sans justification écrite préalable. Il y a compensation lorsque des obligations réciproques sont éteintes à hauteur du montant ou de la quantité la plus faible.
Le fait que l'acheteur doive informer préalablement et par écrit le fournisseur de la compensation demandée donne à ce dernier la possibilité de la contester.
Ajouts à la liste grise : pratiques interdites sauf accord des parties
Interdiction de vendre en dessous du prix de production
L’acheteur ne peut pas acheter ses produits au fournisseur à un prix inférieur à ses coûts de production. Cependant, dans certains cas, il peut être économiquement intéressant pour le fournisseur de vendre à perte sa production, plutôt que de la détruire. En ajoutant cette pratique/clause à la liste grise, le fournisseur garde cette faculté de choix de vendre ses produits à perte et sa position de négociation sera renforcée vis-à-vis de son acheteur. Il appartiendra au fournisseur de démontrer au regard de ses coûts de production, l’existence de cette pratique/clause abusive.
La détermination d’indices de coûts de production spécifiques à chaque filière est en cours au sein d’un groupe de travail rassemblant les représentants des secteurs concernés et des économistes. Il s’agit de la mise en place de « tunnels de prix » par filière (animale et végétale), basés sur des indices de rentabilité plus transparents, élaborés en collaboration avec les administrations régionales et avec la Concertation de Chaîne. Une fois que ceux-ci auront fait l’objet d’un accord au sein d’une organisation de branche, ces indices constitueront la référence pour déterminer si une vente est faite en dessous des coûts de production. En tout état de cause, ces indices seront des moyennes auxquelles les agriculteurs qui ne sont pas membres des organisations de branche concernées pourront se référer lorsqu’ils estiment vendre leurs produits à des coûts inférieurs à leurs coûts de production réels.
Il convient de préciser que l’interdiction à l’acheteur d’acheter des produits au fournisseur à un prix inférieur à ses coûts de production doit être appréciée au moment de la conclusion du contrat. C’est à cet instant que l’estimation des coûts de production doit avoir lieu. Ainsi même si durant le contrat, les coûts de production évoluent à la hausse ou à la baisse et que le prix préalablement payé par l’acheteur ou la formule de prix convenue est désormais inférieur aux nouveaux coûts de production, le fournisseur ne peut pas invoquer que l’acheteur a acheté ses produits à un prix inférieur à ses nouveaux coûts de production.
Théorie de l’imprévision
Il s'agit d'ajouter à la liste des pratiques présumées abusives le refus d'une des parties de renégocier le contrat lorsque les conditions de son exécution ont changé de telle sorte que l'exécution est devenue excessivement onéreuse et ne peut être raisonnablement exigée. Toutefois, cette disposition figurant sur la liste grise, les parties peuvent décider ensemble, après concertation, de l'exclure, mais elle doit être dûment justifiée.
Remarque : contrairement aux autres pratiques qui sont déloyales vis-à-vis du fournisseur, cette disposition s'applique également à l'acheteur, quelle que soit sa taille.
Trop peu de temps pour la « compliance »
L'entrée en vigueur après 3 mois ne laisse pas suffisamment de temps aux entreprises pour analyser la législation et l'intégrer dans les nouveaux contrats. La période de transition de six mois ne laisse pas non plus assez de temps pour adapter tous les contrats en cours et pour que les fournisseurs qui approvisionnent des clients étrangers les informent de la modification de la loi belge sur les pratiques commerciales déloyales. La loi belge sur les UTP protège également les fournisseurs qui approvisionnent des clients étrangers et les fournisseurs étrangers qui approvisionnent des clients belges. Ces derniers devraient également être autorisés à modifier leurs contrats si nécessaire.
L’AR est encore un pas de plus dans la bonne direction
Cet AR donne aux entreprises alimentaires des leviers supplémentaires dans leurs négociations avec leurs acheteurs, mais pour rétablir totalement l'équilibre, les entreprises ont aussi besoin d'autres solutions structurelles.
Unfair is unfair no matter the size!
Il est important de noter que le seuil de 350 millions d'euros de chiffre d'affaires annuel prévu par la loi sur les pratiques commerciales déloyales constitue un obstacle à l'adoption de pratiques commerciales déloyales au sein de la chaîne agroalimentaire. Tous les fournisseurs, quelle que soit leur taille, devraient pouvoir intenter une action en justice pour pratiques commerciales déloyales. Les petits fournisseurs peuvent être protégés, mais si leurs acheteurs ne le sont pas et subissent des pressions, ils en subissent aussi les conséquences. Seul un champ d'application général sans seuil permet d'éviter un tel effet de cascade et un traitement inégal des producteurs.
Promotions déraisonnables
Les promotions sont importantes pour la stratégie commerciale de tous les opérateurs de la chaîne. Les promotions peuvent également être utiles, par exemple pour lutter contre le gaspillage alimentaire, familiariser les consommateurs avec les produits innovants et les nouveaux produits et stimuler les ventes.
Cependant, les promotions déraisonnables ternissent l'image des denrées alimentaires en les dévalorisent aux yeux des consommateurs. En outre, de nombreuses promotions sont entièrement ou partiellement supportées par le producteur, ce qui peut peser sur la rentabilité économique des entreprises alimentaires.
Les promotions de type 1+1 devraient dès lors être interdites sur tous les produits alimentaires.
Mediateur
L'actualité (manifestations d'agriculteurs) montre que la législation et les mécanismes de contrôle n’ont pas réellement permis un ré-équilibrage du pouvoir de négociation au sein de la chaîne. Nous recevons régulièrement des signaux indiquant l’existence de pratiques commerciales déloyales et le non-respect de la législation existante. Le faible nombre de plaintes adressées au SPF Économie montre malheureusement que le ‘fear factor’ joue un rôle très important. Le seuil « psychologique » pour s’adresser aux autorités reste trop élevé.
C’est pourquoi nous souhaitons instaurer un « seuil intermédiaire » entre les acteurs de terrain et l’Inspection économique, qui est l’ultime stade auquel chaque acteur préférerait ne jamais avoir à recourir. Cet échelon intermédiaire, agissant comme un SPOC, devrait travailler en toute indépendance, être neutre et être accessible facilement par tous.
Conclusion
Espérons que le prochain Gouvernement se saisira de la question rapidement et proposera des solutions structurelles pour assurer la survie d’une chaine agro-alimentaire belge solide.