La culture de la sécurité alimentaire dans l’ADN de chaque entreprise

05.06.2023

Toute entreprise alimentaire a une culture de la sécurité alimentaire. Son niveau de maturité dépend de sa force d’ancrage dans l’ADN de l’entreprise et, par conséquent, de la mesure dans laquelle la sécurité alimentaire figure au rang des priorités. Deux experts de l’Université de Gand mettent en lumière le facteur qui renforce ou fragilise la sécurité alimentaire : le facteur humain. 

Depuis avril 2021, une vingtaine d'entreprises alimentaires participent au projet d'innovation Q-DNA et étudient le potentiel de leur culture de la sécurité alimentaire en collaboration avec Flanders' FOOD, l'Université de Gand, Fevia, Wagralim, Alimento, avec le soutien de l’Agence flamande pour l’innovation et l’entrepreunariat (VLAIO). Ensemble, ils recherchent la meilleure façon de porter cette culture de la sécurité alimentaire à un niveau supérieur en tenant compte à la fois du facteur technologique et du facteur humain. La sécurité alimentaire ne doit pas uniquement être la priorité du département qualité d'une entreprise : tout le monde, la direction et l’ensemble des équipes, doit y être sensibilisé. 

Nous nous sommes entretenus avec la doctorante en Food Safety Management, Pauline Spagnoli et le professeur en psychologie d’entreprise, Peter Vlerick, deux chercheurs étroitement impliqués dans ce projet ambitieux qui est au cœur de la roadmap de développement durable de l’industrie alimentaire belge.

Pauline Spagnoli, Doctoraatsonderzoeker in Food Safety Management

Pauline Spagnoli, Doctorante en Food Safety Management

Peter Vlerick, Professeur en psychologie d’entreprise

Qu’entend-on exactement par culture de la sécurité alimentaire ?

Peter : La culture de la sécurité alimentaire est la manière dont une entreprise gère la sécurité alimentaire à tous les niveaux. La sécurité alimentaire peut être définie dans des lois et procédures, mais la bonne application de toutes les mesures en la matière dépend notamment du facteur humain. La sécurité alimentaire doit toujours être une priorité aussi bien de la direction que des employés, elle ne relève pas de la seule responsabilité du département qualité.

Pauline : La culture de la sécurité alimentaire est un concept très large. D'une part, il y a un aspect technologique : pensons à toutes les actions systématiques qu'une entreprise met en œuvre pour garantir et contrôler la sécurité alimentaire, comme la conception hygiénique des équipements ou les inspections internes. D'autre part, il y a l'aspect humain : comment l'organisation et les collaborateurs individuels se positionnent-ils par rapport à la sécurité alimentaire ? Certaines organisations sont, par exemple, très conscientes des risques, ont une grande capacité d'adaptation et s'efforcent activement de motiver leurs collaborateurs.

Le projet Q-DNA est axé sur la culture de la sécurité alimentaire. En quoi consiste consiste-t-il précisément ?

Peter : Dans le projet Q-DNA, nous cherchons à répondre aux questions suivantes : « Qu'entend-on par culture de la sécurité alimentaire ? » et « Quels outils les entreprises peuvent-elles utiliser pour créer une culture positive de la sécurité alimentaire à tous les niveaux de l'entreprise ? ». Dans un premier temps, nous essayons de définir clairement de quoi nous parlons. Il est important que tant les chefs d'entreprise que les consultants et les scientifiques parlent le même langage et utilisent le même cadre de concepts. Ensuite, nous développons des outils qui nous permettent de mesurer et d’établir une évaluation comparative. Troisièmement, nous visons à développer et mettre en oeuvre des interventions dans les entreprises afin d’apporter des améliorations continues.  

Pauline : Dans le cadre du projet Q-DNA, nous avons réalisé une étude à grande échelle auprès de 20 entreprises, où nous avons mesuré la culture de la sécurité alimentaire de différentes manières. Nous nous appuyons à la fois sur des outils subjectifs pour mesurer la perception humaine, tels qu'un entretien avec la direction ou un questionnaire, et sur des mesures objectives, telles que les « on-site evidence collection visits », au cours desquelles nous observons et réalisons une analyse documentaire.

Que souhaitez-vous atteindre au final ?

Peter : Notre objectif ultime est d'amener, par le biais de ces outils, les entreprises du secteur alimentaire à s'engager dans la mise en place d'une culture. Grâce au projet Q-DNA, plusieurs entreprises se prêtent à l’expérience pour tester un certain nombre d'interventions. Et c'est précisément ce qui fait l'originalité du projet Q-DNA : les scientifiques sont en dialogue permanent avec les experts de terrain.

Découvrez-en davantage sur le projet Q-DNA : plus d'infos !

La Belgique fait partie du top mondial en termes de sécurité alimentaire. Pourquoi est-il néanmoins important d’investir dans une meilleure culture de la sécurité alimentaire ?

Peter : Nous sommes en effet parmi les meilleurs, mais il est toujours possible de s'améliorer. Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles il est important d'investir dans une meilleure culture de la sécurité alimentaire. Tout d'abord, parce que la réglementation européenne l'impose depuis 2021. Ensuite, c'est aussi dans l'intérêt de votre entreprise, car non seulement vous proposez des produits de meilleure qualité, mais vous bénéficiez aussi d’un retour sur investissement économique. Par ailleurs, une culture de la sécurité alimentaire mature joue un rôle fédérateur en liant votre personnel à votre organisation. Elle contribue à l'identité de votre organisation, ce qui, à son tour, peut augmenter votre attractivité vis-à-vis de futurs talents. En résumé, investir dans la culture de la sécurité alimentaire est bénéfique à la fois pour le produit, le personnel et l’entreprise. 

Pauline : Il est vrai qu'en Belgique, nous avons déjà un niveau très élevé de sécurité alimentaire, mais nous avons constaté récemment que toutes les dimensions ne sont pas encore suffisamment développées. Un long chemin a déjà été parcouru sur le plan technologique, mais en ce qui concerne l’aspect humain, nous avons certainement encore une marge d'amélioration. Une vaste étude quantitative auprès de vingt entreprises a montré qu'il y encore du pain sur la planche en termes de « consistency ». Il est essentiel qu’une organisation soit cohérente : dans quelle mesure dit-elle ce qu'elle fait et fait-elle ce qu'elle dit ? Dans quelle mesure une bonne conduite en matière de sécurité alimentaire est-elle reconnue au sein de l'organisation ?

Comment améliorer la culture de la sécurité alimentaire dans l’entreprise ? Comment s’y prendre ?

Pauline : Pour renforcer la culture de la sécurité alimentaire, il est tout d'abord important de connaître son niveau de maturité actuel. En premier lieu, il s’agit d'identifier la zone problématique sur la base d’une évaluation. Vous apprenez ainsi à connaître vos points forts et faiblesses. Dans un deuxième temps, vous pouvez analyser la zone problématique à l'aide d'une analyse des lacunes pour aboutir à un plan d'intervention établi en fonction de ces lacunes. Les interventions peuvent aller du développement du leadership au sein de l'organisation avec la direction et d'autres responsables, à des sessions avec les opérateurs pour faire entendre leur voix dans le choix des priorités d'amélioration.

Peter : Il est en effet primordial de commencer par un bon diagnostic de la culture actuelle. La culture de la sécurité alimentaire ne peut être mise en place en un tour de main : elle se crée et se façonne jour après jour au sein de l’organisation, ce qui demande du temps et de l’énergie. 

Comment faire pour que l’ensemble des collaborateurs, du CEO à l’opérateur, adhèrent à l’approche de sécurité alimentaire ?

Peter : C’est un travail sur mesure. Chaque entreprise a sa propre culture qu’elle doit prendre comme point de départ. Après avoir établi un bon diagnostic et une analyse des lacunes, vous pouvez ensuite définir des stratégies d'amélioration sur mesure et des interventions concrètes. Il s'agit d'une responsabilité partagée de tous les membres de l’entreprise, et ce rôle d'ambassadeur est essentiel.  

Pauline : Un exemple d'intervention consiste à impliquer la direction dans l’approche de sécurité alimentaire, à partager la responsabilité du directeur qualité et à faire de la sécurité alimentaire un objectif commun. De cette manière, il est possible d’intégrer la sécurité alimentaire dans la vision et la stratégie de l'ensemble de l'entreprise. 

Quels effets peut avoir une culture de la sécurité alimentaire mature ? 

Pauline : Différentes études scientifiques révèlent qu'une culture de la sécurité alimentaire mature est véritablement liée à la sécurité alimentaire des produits finis. Par ailleurs, nous avons mené une première étude sur le lien entre la maturité de la culture de la sécurité alimentaire et la performance économique des entreprises. Les premiers résultats montrent que l'orientation des investissements vers la prévention (par exemple, la conception hygiénique ou la sélection rigoureuse des fournisseurs) est inextricablement liée au renforcement de la culture de la sécurité alimentaire.

Peter : Mon hypothèse est que cela a un effet sur le bien-être psychosocial du personnel. Cet aspect bénéfique est plus difficile à mesurer, mais dans le cadre du projet Q-DNA, nous effectuons une mesure avant et après afin de pouvoir identifier les différences, il s'agit toutefois d'un travail au long cours. 

Quels sont les défis à venir sur le plan de la sécurité alimentaire ?  

Pauline : La culture de la sécurité alimentaire est l'essence, il est très important que les produits que vous fabriquez soient sûrs, mais parallèlement, les entreprises sont confrontées à d'autres défis tels que la digitalisation et la durabilité. Je pense que l'intégration de tous ces défis représentera un challenge pour l'industrie alimentaire, mais une culture solide de la sécurité alimentaire est justement un facteur essentiel et même un facteur de cohésion dans cette intégration. Les entreprises dotées d'une solide culture de la sécurité alimentaire ont automatiquement plus de marge de manœuvre pour relever d'autres défis. En outre, il est important de maintenir les améliorations apportées à la culture de la sécurité alimentaire sur le long terme. Il ne s'agit pas d'un effort ponctuel, mais d'un effort durable que vous ne pouvez ensuite plus abandonner.

Peter : La sécurité alimentaire et la culture de la sécurité alimentaire en particulier ne sont pas un phénomène de mode, mais elles doivent être intégrées dans les processus décisionnels et l'ADN de l'organisation. C’est l’affaire de tous. La culture de la sécurité alimentaire est présente et pertinente dans tous les domaines d’action et à tous les niveaux hiérarchiques de l'entreprise.

Comment Greenyard perçoit-elle sa participation au projet Q-DNA ?

 

 

Olivier Galard (Group Quality, Health & Safety Director) témoigne de cette expérience : « Vous pouvez rédiger des milliers de règles et procédures, encore faut-il que les gens adhèrent à l’approche de sécurité alimentaire et qu’ils soient conscients de leur rôle dans un cadre plus large. En outre, la législation et les normes industrielles exigent que l'on travaille de manière tangible sur la sécurité alimentaire. Il s’agit donc d’une nécessité interne car nous voulons vraiment ancrer et maintenir cette sécurité alimentaire dans un paysage en constante évolution, mais s’y ajoute également un volet législatif qui nous oblige en partie à la rendre tangible et cela, nous l'avons trouvé dans le Q-DNA. »

Greenyard était à la recherche d'une base scientifique pour s'atteler efficacement à sa culture de la sécurité alimentaire : « Le projet Q-DNA nous a aidés à trouver la bonne approche grâce à une méthodologie issue de l'interaction entre l'industrie alimentaire et les experts académiques. Cette alliance entre théorie et pratique est le point fort du projet. Nous sommes pionniers en la matière par rapport à d’autres pays : La Flandre, avec l'Université de Gand en particulier, s’est tournée très rapidement vers une interprétation pratique de la nouvelle législation, ce qui apporte une grande valeur ajoutée. »

En tant que multinationale, Greenyard s'est approprié les enseignements du projet Q-DNA : « Nous appliquons également notre méthodologie pragmatique et personnalisée à nos sites internationaux. Notre objectif est de développer un modèle de sécurité durable. Bien entendu, la sécurité alimentaire a toujours été importante pour nous et le restera. A présent, nous voulons ancrer cette sécurité alimentaire dans notre culture d'entreprise afin que tout le monde reste à bord à long terme. »