Dans notre série Food & Figures, notre économiste Carole Dembour analyse un chiffre clé du secteur alimentaire. Dans cette édition, elle se penche sur la hausse des achats transfrontaliers.
Les achats transfrontaliers sont en hausse depuis de nombreuses années. Une analyse du Conseil Central de l’Economie pointe notamment le rôle important joué par la fiscalité indirecte dans ce phénomène. Chaque année, ce sont environ 650 millions d’euros que les Belges dépensent en aliments et en boissons de l’autre côté de la frontière. En 2020, cela a été 175 millions d’euros de moins. La crise du coronavirus a mis en évidence l’effet yoyo des achats transfrontaliers au gré des restrictions de voyage.
Les achats transfrontaliers ont suivi de manière inversée les vagues de la pandémie, au gré des restrictions de voyage. Ainsi, suite à la première vague, les achats transfrontaliers ont reculé de 120 millions et la deuxième vague, entamée en octobre de l’année passée, a provoqué une baisse de 130 millions €. Soit un total de 250 millions € d’achats d’aliments et de boissons qui au lieu de se faire dans les pays limitrophes se sont faits en Belgique. Tout profit pour l’activité économique dans notre pays et pour les recettes fiscales de l’Etat.
Malheureusement, ce phénomène est bien sûr temporaire et n’est dû qu’à des facteurs externes plutôt qu’au libre choix des consommateurs belges. Le troisième trimestre est d’ailleurs symptomatique à cet égard. En effet, dès les frontières rouvertes, les achats transfrontaliers ont connu un bond de près de 100 millions €. La question qui se pose maintenant est : y a-t-il moyen d’éviter ce rebond des achats transfrontaliers après la deuxième vague ? Est-il possible que ces achats ne reviennent pas à leur niveau habituel ? Ou mieux encore, est-il possible d’établir un nouveau niveau habituel, nettement plus bas que celui de 2019 ? Nous pensons que oui.
Les taxes indirectes indiquent la mauvaise route
Les achats transfrontaliers de boissons ont fortement augmenté ces dernières années. Ce constat a incité les partenaires sociaux du secteur alimentaire, réunis au sein du Conseil Central de l’Economie (CCE), à examiner plus en détail la situation. L’étude réalisée par le CCE compare le niveau des taxes indirectes sur les boissons en Belgique et dans les pays voisins (Pays-Bas, France, Allemagne et Grand-Duché de Luxembourg).
Les résultats confirment la forte présomption que le niveau moins élevé des taxes indirectes sur les boissons est l’un des principaux moteurs de ces achats transfrontaliers. Les partenaires sociaux sont convaincus que le consommateur belge est disposé, en fonction de la distance qui sépare son domicile de la frontière, à se rendre dans l’un des pays voisins afin d’y acheter des boissons moins chères, et ce selon une fréquence allant de ‘une fois’ à ‘régulièrement’. Ceci vaut pour toutes les boissons alcoolisées au Luxembourg et en Allemagne, pour le vin en particulier en France et pour les sodas au Luxembourg et en France.
Une fois que le consommateur fait des achats de boissons dans un pays voisin, il les combine avec d'autres achats (autres denrées alimentaires, produits ménagers, textiles et vêtements, etc.), des visites dans des établissements de l’horeca et des activités touristiques. Cela entraîne un transfert d’activité économique qui induit directement une perte de recettes de TVA, d’accises, de cotisations emballages et d'impôts sur les sociétés, à laquelle s’ajoutent, indirectement, la perte d'emplois qui sont créés ailleurs et l’absence conséquente de recettes provenant du précompte professionnel et des cotisations de sécurité sociale. En outre, les emballages de ces acheteurs transfrontaliers se retrouvent parfois dans les flux de déchets belges après consommation des produits.
Les regards sont-ils tournés dans la bonne direction ?
Une fois le diagnostic posé, le remède doit être à la hauteur. Malheureusement, il n’y a pas 36 solutions pour faire baisser les achats transfrontaliers. Nous devons réduire l’incitant à traverser la frontière pour faire ses courses. En d’autres termes, le différentiel de prix doit baisser. Or, comme le montre l’étude du CCE, la fiscalité indirecte est largement en défaveur de notre pays.
De plus, les partenaires sociaux recommandent vivement qu’aucune nouvelle taxe indirecte sur l’alimentation et les boissons ne soit introduite, et ce afin d’éviter tout dommage dans les secteurs alimentaires et connexes (horeca, événements, distribution, etc.).
Enfin, les partenaires sociaux souhaitent la mise en place d’un monitoring structurel de la fiscalité sur les produits alimentaires dans lequel la situation est comparée avec celle des pays voisins, en vue d’évaluer et de restaurer la compétitivité des entreprises alimentaires par rapport aux pays voisins.