La nouvelle directive européenne sur les pratiques commerciales déloyales doit à présent être transposée dans la législation belge. Au sein de la Concertation de la chaîne agro-alimentaire belge, nous avons discuté avec nos partenaires de la manière dont cette transposition doit se faire. La bonne nouvelle est que nous sommes d’accord sur la façon dont les éventuelles pratiques déloyales doivent être surveillées. Cependant, nos avis divergent quant à la liste des pratiques commerciales déloyales et ceux qui méritent d’être protégés.
Les partenaires de la chaîne agro-alimentaire – l’agriculture, l’industrie alimentaire et la distribution - sont d’accord sur la nécessité d’un organisme surveillant de manière efficace et effective les pratiques commerciales (dé)loyales. En bref, un moyen de pression. Néanmoins, nous préférons encourager la médiation sur une base volontaire. Favoriser le dialogue d’abord, et en cas d’échec, pouvoir disposer d’un moyen de pression. Enfin, tous les partenaires de la chaine reconnaissent la valeur ajoutée d’un rôle d'évaluation pour la Concertation de la chaine.
La bonne nouvelle s’arrête là. Malheureusement, les avis à propos des quelques principes essentiels sont très éloignés les uns des autres. Premièrement, sur le champ d’application de la nouvelle législation. Pour Fevia, il était pourtant d’entrée de jeu évident que la protection contre les pratiques commerciales déloyales devait s’appliquer à tous les producteurs alimentaires, sans distinction. « Unfair is unfair », c’était et ça reste le principe que nous soutenons. Deuxièmement, il y a débat sur la liste exacte des pratiques commerciales déloyales. Sur le terrain, nous constatons un certain nombre de pratiques inadmissibles qui ne devraient pas pouvoir échapper à la nouvelle législation. C’est la raison pour laquelle une transposition telle quelle de la directive européenne est insuffisante.
Protéger tous les producteurs alimentaires
Les détaillants forment, par leur nombre restreint et leur position dans la chaîne agro-alimentaire, un goulet d’étranglement entre les milliers de producteurs alimentaires qui mettent leurs produits sur le marché et les millions de consommateurs qui achètent ces aliments et boissons. Ceci leur donne un grand pouvoir de négociation face à leurs fournisseurs. Et l’expérience le confirme : 96 % des producteurs alimentaires européens ont déjà été confrontés, d’une manière ou d’une autre, à des pratiques commerciales déloyales. Ceci vaut pour tous les producteurs alimentaires, tant pour les petits que pour les grands.
Ceci est renforcé par le fait que les détaillants s’unissent à l’échelle (inter)nationale au sein d’« alliances commerciales ou d’achat ». Les détaillants passent par ces alliances pour négocier ensemble avec leurs fournisseurs et ainsi exercer une pression encore plus forte. Or, la directive européenne veut équilibrer les rapports de force dans la chaîne agro-alimentaire. Ces alliances doivent donc également tomber dans le champ d’application de la nouvelle législation.
Appliquer un plafond (par paliers) n’est pas une bonne idée
Tous les maillons de la chaîne, tant les grands que les petits producteurs, travaillent étroitement ensemble. Et la pression sur les plus grands acteurs retombe donc inévitablement sur les plus petits acteurs. Limiter la protection à des entreprises ayant un chiffre d’affaires global de 350 millions d’euros, comme le prévoit la directive européenne sous la pression des détaillants, a pour conséquence qu’un grand nombre de nos membres ne bénéficieraient pas de protection.
Les petites entreprises qui sont petites sur le marché local mais qui exportent beaucoup risquent aussi de ne pas pouvoir bénéficier de protection. Le plafond de 350 millions n’est tout simplement pas un bon indicateur du pouvoir de négociation et représente un frein à l’exportation et à la croissance. Qu’adviendra-t-il si, à l’avenir, les détaillants laissent les petits acteurs bien protégés de côté pour travailler exclusivement avec des grands acteurs qui ne bénéficient pas de cette même protection ? Finalement, la protection des petits acteurs se retournera contre eux !
De plus, la directive prévoit actuellement un plafond par paliers. La protection d’une entreprise tient compte de son chiffre d’affaires en le comparant à celui du détaillant qu’elle fournit. Cependant, ce chiffre d’affaires évolue : il se peut qu’en raison de l’évolution du marché et de la croissance, une entreprise ne puisse soudainement plus bénéficier de la protection. Cette approche complique les choses et crée une insécurité juridique : essayez en tant qu’entreprise de continuellement chercher à savoir si le chiffre d’affaires de vos acheteurs partout dans le monde est en-dessous ou au-dessus du seuil ! Une bonne protection exige de pouvoir savoir à chaque instant si on est protégé et contre qui on est protégé.
Compléter la liste des pratiques commerciales déloyales
Seize pratiques commerciales déloyales sont désormais interdites par la loi – dans une « liste noire » – ou sont soumises à des accords écrits préalables – dans une « liste grise ». Toutefois, nous constatons sur le terrain certaines pratiques qui sont inacceptables dans une relation commerciale loyale. Nous estimons que celles-ci devraient être reprises dans la liste lors de la transposition dans le droit belge.
Ainsi, il est inacceptable pour l’industrie alimentaire que des producteurs soient confrontés à des modifications unilatérales d’accords conclus. Ou que des actions ou des conditions leur soient imposées sans qu’ils aient une connaissance suffisante de l’importance des volumes à livrer ou de l’impact (financier). Et, bien sûr, il y a aussi ce qu’on appelle le déréférencement (delisting) : une pratique inacceptable consistant à retirer des produits des rayons sans préavis ni justification, souvent à titre de pression ou de représailles. Malheureusement, cette pratique est également de plus en plus courante chez les détaillants qui font partie de ces « alliances commerciales ou d’achat ».
Ensemble, agrandissons le gâteau afin d’en garantir une part pour tous
Tous les maillons de la chaîne alimentaire ont besoin les uns des autres. Mais il est préférable que nous travaillions ensemble de la bonne manière. Plutôt que de vouloir conquérir une plus grosse part d’un gâteau qui devient plus petit – le marché intérieur se rétrécit – aux dépens les uns des autres, il serait préférable de réfléchir ensemble à la façon dont nous pouvons dynamiser notre écosystème et agrandir le gâteau.
Nous le faisons grâce à des pratiques commerciales loyales, à une plus grande coordination, en relevant ensemble les défis communs et en travaillant avec nos décideurs politiques à un cadre qui élimine les handicaps fiscaux et autres vis-à-vis de l’étranger. Par ailleurs, en veillant à ce que l’accent ne soit plus seulement mis sur le prix le plus bas, mais sur la qualité, la sécurité, la diversité et la durabilité. Et ceci a un prix : le juste prix !