Quand vous achetez un produit alimentaire dans un supermarché, savez-vous ce qui détermine son prix ? Pour produire un produit alimentaire, les fabricants doivent acheter des matières premières, investir dans la production, la logistique, le transport, leur personnel, la R&D, etc. Mais le prix n’est pas qu’une somme de coûts, d’autres facteurs jouent un rôle. Les fabricants doivent ensuite entamer des négociations avec les distributeurs. Et pour finir ce sont les distributeurs qui fixent le prix dans les rayons. Avec plusieurs experts du secteur nous avons fait un petit tour d’horizon des éléments les plus inattendus qui influencent les prix.
Les coûts de production
Les prix des matières premières ont explosé et les entreprises payent aussi davantage pour les emballages, le transport et l’énergie. « Ceci est dû à une baisse de l’offre sur le marché mondial, en partie à cause des conditions climatiques et des mauvaises récoltes, à des changements dans les habitudes de consommation suite à la crise sanitaire et à une forte reprise de la demande, » précise Carole Dembour, économiste chez Fevia. « A cela s’ajoute le coût élevé en Belgique de la main-d’œuvre, où l’indexation automatique des salaires pèse de tout son poids. La production alimentaire en Belgique, c’est 96.000 food heroes qui travaillent tous les jours pour produire des produits de haute qualité. »
En revanche, les producteurs ne pourront pas répercuter toutes ces hausses de coûts sur leurs prix de vente au cours de l’année, car ils sont liés par des contrats annuels avec les supermarchés. Steven Dierickx, Managing Director chez Inex, en sait quelque chose : « Le niveau actuel du prix du lait, et la vitesse à laquelle il a augmenté, sont sans précédent. Notre prix de revient est supérieur de plus de 40 % à celui d’il y a un an, mais les prix des supermarchés ne suivent pas immédiatement. Pourtant, nous savons que les consommateurs belges sont prêts à payer plus cher pour le lait. En outre, nulle part les prix à la consommation du lait ne sont aussi bas qu’en Belgique. Cette situation n’est viable pour aucun maillon de la chaîne et les prix à la consommation devront donc évoluer en conséquence. »
Les négociations avec les distributeurs
Walter Gelens, CEO de BABM (Association belge des marques), note que les négociations avec le secteur de la distribution sont particulièrement difficiles cette année. Tout est lié au contexte actuel d’inflation et de cinquième vague du coronavirus, avec entre autres l’impact possible sur les ruptures de stock. « Cela rend les augmentations de prix nécessaires, car chacun ressent l’impact des augmentations de coûts actuelles dans son entreprise. Nous constatons que la plupart des fabricants doivent négocier durement. Il est important que les augmentations de coûts que chacun ressent tout au long de la chaîne soient finalement répercutées. Il s’agit de trouver un bon équilibre entre les différentes parties. Et bien sûr, il est important que les négociations se déroulent de manière honnête et transparente, malgré le contexte difficile. »
Pour les marques de distributeur, que l’on appelle aussi « private labels », la pression peut être encore plus forte, car l’inflation des coûts pèse encore plus lourdement sur la rentabilité des entreprises qui les produisent. Le président de Fevia, Anthony Botelberge, déclare : « Chaque détaillant a ses propres exigences et il faut donc investir à nouveau dans la R&D, par exemple, pour chaque détaillant. Cela signifie que le coût total sera également plus élevé. Et en plus de cela, les normes en termes d’audit, de certification et de reformulation pour les marques de distributeurs sont devenues plus strictes au cours des cinq dernières années. »
Parfois, cela va si loin que les produits sont retirés des rayons, mais c’est le tout dernier recours. « Cela n’arrive pas souvent car cela coûte de l’argent aux deux parties et le consommateur va souvent se rendre dans un autre magasin. La concession finale peut porter sur le prix, mais aussi sur des promotions spéciales qui permettent à un supermarché de se démarquer d’autres chaînes de supermarchés, par exemple », explique Stefan Van Rompaey (Retail Detail).
Fevia mettra prochainement un outil en ligne pour ses membres visant à les informer et les guider dans leurs droits et obligations en matière de pratiques commerciales entre entreprises pour mieux les armer.
Les pratiques qui influencent les achats
Votre produit préféré est en « promo » ou cette semaine « tout est à 1 euro » ? On observe deux grandes tendances majeures dans la distribution d’après Pierre-Alexandre Billiet : une approche soft, le “nudging” pour influencer les achats des consommateurs doucement, et une approche “hard” : les données et la personnalisation qui permettent des offres individualisées. Plusieurs pratiques peuvent influencer votre perception du prix et vos achats.
« Le nudging va le plus influencer le consommateur en l’accompagnant de manière ‘soft’», indique Pierre-Alexandre Billiet. « Par exemple, en limitant son choix à une fourchette de prix ou en affichant des prix ronds ou non ronds ». Autre exemple : fournir des informations qui vont orienter les consommateurs vers des choix plus équilibrés ou plus respectueux de l’environnement.
Nos achats seront aussi influencés par la plus ou moins grande visibilité des produits dans les supermarchés : « En bas de l’étagère, on trouve les produits les moins chers, à hauteur des yeux, les marques de distributeur et les produits connus et si on monte plus haut, on trouve généralement les spécialités et les produits plus exclusifs et légèrement plus chers. » Les producteurs doivent payer pour avoir une bonne place dans les rayons, et cela contribue à déterminer le prix de leurs produits. Mais aussi pour les promotions, les displays, la place dans les brochures publicitaires, etc. Les supermarchés y gagnent aussi beaucoup plus », explique Stefan Van Rompaey (Retail Detail).
Nous constatons également que les prix sont de plus en plus personnalisés : « Les consommateurs disposant d’une carte ou app de fidélité bénéficient d’une réduction supplémentaire sur certains produits, en fonction de leur comportement d’achat et de leur profil. Et les clients ne le savent pas les uns des autres. Du coup, le prix final ne s’applique pas à tout le monde, car ce n’est pas le même prix dans le magasin ou dans les brochures. »
La « lasagne de taxes »
Autre élément qui impacte les prix : les taxes sur l’alimentation qui sont nombreuses et plus élevées en Belgique comparé à nos pays voisins. On recense notamment une TVA plus élevée qu’en France, des accises sur les boissons qui ont fortement augmenté en Belgique et la taxe emballages qui frappe les fabricants de boissons. Ceci explique pour partie que les prix des produits alimentaires en Belgique seront globalement plus élevés. « Cela pousse d’ailleurs de nombreux consommateurs à aller faire leurs courses au-delà de nos frontières, au détriment des entreprises alimentaires, de l’emploi, des finances publiques et de toute l’économie belge », nous rappelle Carole Dembour.
Investir dans un avenir durable
Les entreprises alimentaires investissent beaucoup dans les techniques les plus innovantes pour continuellement améliorer la qualité et la sécurité de nos produits. Les enjeux climatiques et démographiques poussent les entreprises à aller plus loin. Michel Mersch, CEO de Nestlé Belgilux, explique que pour faciliter la transition vers un système plus durable, il faut « créer de la valeur ajoutée », en termes de qualité nutritionnelle, gustative ou environnementale, etc.
Il s’agit de manger mieux, de manière plus consciente et variée, en offrant plus de choix. Par exemple, en développant des alternatives végétales ou des produits qui offrent une plus grande satiété. Michel Mersch reste convaincu qu’une approche plus durable est et sera bénéfique pour tous, mais qu’il faut passer par une phase de transition qui elle reste plus compliquée.
Bart Buysse, le CEO de Fevia, résume : « La fabrication d’aliments et de boissons savoureux, diversifiés, sûrs, innovants et produits de manière durable implique donc beaucoup de choses. Les consommateurs, les détaillants et les décideurs politiques sont de plus en plus exigeants. Et cela nécessite des efforts et des investissements de la part de nos entreprises. Ce coût doit être traduit dans le prix final en magasin, qui est finalement déterminé par les supermarchés. Une alimentation durable n’est donc possible qu’avec une chaîne d’approvisionnement durable fondée sur des partenariats solides et équitables entre tous les maillons de la chaîne, dans une perspective à long terme mais aussi en tenant compte des défis à court terme. Et cela implique un prix juste, non pas le prix le plus bas. »