Flambée des prix des matières premières alimentaires (+28%) : stop ou encore ?

08.11.2021

Dans notre série Food & Figures, notre économiste Carole Dembour analyse un chiffre-clé du secteur alimentaire. Dans cette édition, elle a une bonne et une mauvaise nouvelle concernant les prix des matières premières agroalimentaires. D'une part, la flambée des prix ne devrait pas se poursuivre l’année prochaine. Mais d'autre part, les prix ne devraient pas diminuer pour autant. Au contraire, certains risques pourraient les pousser à nouveau à la hausse.

Dans son rapport « Commodity Market Outlook », publié fin octobre, la Banque mondiale prévoit que l’indice des prix alimentaires augmente de 28 % en 2021. Elle s’attend aussi à ce qu’il reste à un haut niveau l’année prochaine puisque la diminution prévue n’est que de 2% en 2022.

Une certaine hétérogénéité dans l'évolution des prix entre les principaux produits de base composant l’indice devrait cependant être observée. Le maïs devrait ainsi augmenter en moyenne de plus de 50 % cette année et baisser de 10 % en 2022. Le blé devrait être globalement stable en 2022, après une hausse de 21 % cette année, tandis que le riz devrait baisser cette année et l'année prochaine. Quant à l'indice des huiles et des farines, il devrait augmenter en moyenne de 40 % en 2021 et rester stable en 2022.

Mais attention ! Ces prévisions sont soumises à un certain nombre de risques, notamment la volatilité des prix des intrants (en particulier l'énergie et les engrais), les politiques en matière de biocarburants, le nouveau régime climatique La Niña et les incertitudes macroéconomiques.

Coûts énergétiques

L'énergie représente un coût important pour la plupart des cultures de céréales et d'oléagineux, de manière directe (prix des carburants) et indirecte (prix des produits chimiques et des engrais). Or, les prix de l'énergie ont bondi en 2021 et devraient rester élevés à moyen terme. De même, les prix des engrais devraient augmenter de près de 60 % en 2021, avant de connaître une nouvelle hausse de 6 % en 2022. Si les prix de l'énergie et des engrais ne se stabilisent pas l'année prochaine comme prévu, les prix des denrées alimentaires seront soumis à des pressions à la hausse.

Biocarburants

La production de biocarburants devrait augmenter à moyen terme, ce qui pourrait avoir un impact sur plusieurs produits alimentaires, notamment la canne à sucre et le maïs (pour la production d'éthanol) et les huiles comestibles (pour la production de biodiesel). La production de biocarburants a diminué de près de 7 % en 2020 en raison de la baisse de l'utilisation de l'énergie due aux lockdowns. Cependant, elle atteindra probablement les niveaux pré-pandémiques cette année et pourrait continuer à augmenter dans les années à venir, de nombreux pays ayant annoncé leur intention d'accroître leur production dans le cadre de leurs efforts pour atteindre les objectifs en matière de changement climatique (p.e. Chine, Inde). Selon certaines estimations, la production mondiale de biocarburants pourrait augmenter de 50 % au cours des cinq prochaines années. Si ces objectifs se concrétisent, les prix des denrées alimentaires pourraient encore augmenter, étant donné que 2 % supplémentaires des terres agricoles mondiales devraient être alloués aux cultures destinées aux biocarburants. Un autre risque lié aux biocarburants est le prix du pétrole brut. Aujourd'hui, la majeure partie de la production mondiale de biocarburants est possible grâce à des politiques de subventionnement. Toutefois, si les prix du pétrole brut continuent d'augmenter, la production de biocarburants à partir de certaines cultures pourrait devenir rentable, auquel cas les prix de l'énergie pourraient servir de plancher pour le prix des produits alimentaires de base.

Météo

En plus des mauvaises conditions climatiques connues cette année, le modèle météorologique émergent, appelé La Niña, pourrait poser un risque supplémentaire. Selon la National Oceanic Atmospheric Administration (USA), la probabilité d'un hiver La Niña cette année est de 87 %. Conformément aux conditions typiques de La Nina pendant les mois d'hiver, les températures dans certaines parties de la partie nord des États-Unis seraient alors inférieures à la normale, tandis qu'une grande partie du Sud connaîtrait des températures supérieures à la normale, et donc vraisemblablement des conditions de sécheresse. Ces tendances pourraient augmenter les rendements de certaines cultures dans l'hémisphère nord, comme le maïs et le blé, mais aussi réduire les rendements des cultures cultivées dans l'hémisphère sud.

Conditions macroéconomiques

Les prix de la plupart des produits agricoles évoluent souvent inversement par rapport au dollar américain, en particulier ceux qui sont négociés et facturés en dollars américains (principales céréales et plupart des huiles). Ainsi, un dollar américain faible fait baisser les prix des produits de base dans les monnaies nationales (par rapport au dollar), ce qui, à son tour, entraîne une contraction de l'offre et une augmentation de la demande. Ces variations de l'offre et de la demande dépendent de l'ampleur du mouvement de la devise concernée et de la part du commerce de certains produits de base. Lorsque le dollar a chuté de près de 10 % par rapport à un large indice de devises entre avril 2020 et janvier 2021, l'indice des prix alimentaires de la Banque mondiale a augmenté de près d'un tiers. La chute du dollar américain pourrait ainsi avoir été à l'origine de près d'un tiers de la hausse des prix alimentaires. Bien que le dollar américain ait été relativement stable au cours des deux derniers trimestres, une pression à la hausse sur les prix alimentaires mondiaux s'ensuivrait si la devise reprenait son déclin.