Dans un remarquable article d’opinion, Andreas Tirez décrit la taxe sur les graisses et les sucres comme étant une taxe qui fonctionne toujours, même si celle-ci ne porte pas ses fruits. Une taxe sur les graisses et les sucres est, d’un point de vue économique, quasi ‘le Saint Graal’ selon Tirez. Pour FEVIA (Fédération de l’industrie alimentaire), les effets positifs de la taxe sur les graisses et les sucres peuvent en effet être comparés au Saint Graal : une légende qui n’a rien à voir avec la réalité. Bien au contraire, une taxe sur les graisses et les sucres ne contribue pas à une alimentation plus équilibrée, d’autant plus que la taxe sera responsable de la disparition de certains emplois dans notre pays et touche notamment les faibles revenus. Une proposition mûrement réfléchie consiste à s’engager dans une vraie politique de santé, où tous les acteurs concernés collaborent afin de s’attaquer sérieusement au problème de l’obésité.
Selon Andreas Tirez, une taxe sur les graisses et les sucres fonctionne toujours. Son raisonnement est le suivant : si le consommateur continue d’acheter les mêmes produits après l’introduction de la taxe sur les graisses et les sucres, ‘la perte de bien-être’ (perte sèche) serait, ‘d’un point de vue économique’, minimale. Tandis que si le consommateur modifie son comportement suite à la taxe, ce serait un avantage pour la santé malgré que cela engendrerait une plus grande ‘perte de bien-être’. Une taxe santé fonctionne donc toujours.
Cela semble logique n’est-ce pas ? Pourtant, la réalité est bien plus nuancée. Son raisonnement ne tient effectivement pas la route sur 2 points. En assimilant simplement ‘la perte infime de bien-être’ et ‘les changements de comportements minimes’, il néglige les répercussions sociétales plus larges d’une taxe sur les graisses et les sucres qui ne porte pas ses fruits’. Il semble d’ailleurs ne prêter aucune attention aux changements de comportement vicieux qui se manifestent en introduisant une taxe santé dans une économie petite et ouverte comme c’est le cas en Belgique.
Justice versus efficacité
Tout d’abord, assimiler une ‘perte de bien-être minime’ à un ‘changement de comportement minime’, c’est vraiment tirer des conclusions hâtives. Une taxe n’est jamais introduite juste parce qu’elle conduit à une ‘perte de bien-être minimale’ (perte sèche minimale). Encore heureux. Autrement, on pourrait par exemple en venir à justifier une taxe basée sur la taille humaine. Personne ne deviendra plus grand ou plus petit après la mise en œuvre de la taxe. Le changement de comportement est donc nul. Voilà une taxe qui est d’un point de vue économique parfaitement ‘efficace’. Lorsqu’on perçoit des impôts, on tient heureusement compte de l’impact sociétal et social de la taxe. Une taxe qui touche particulièrement certaines tranches de la population ou certaines catégories de revenus de façon disproportionnée peut, d’un point de vue économique, être considérée comme ‘efficace’, mais est inacceptable d’un point de vue ‘sociétal’.
Les économistes ont tendance à avoir des avis différents pour chaque sujet, pourtant, lorsqu’il s’agit des taxes santé, il semble que toutes les études économiques aillent dans le même sens pour le point suivant : ces taxes sont extrêmement régressives et touchent particulièrement les faibles revenus. Les personnes ayant des faibles revenus sont sévèrement touchées par la taxe, car ils dépensent une grande partie de leur salaire en nourriture. Une alimentation déséquilibrée liée à insuffisamment d’activité physique, c’est assez fréquent chez des personnes qui se trouvent dans une position socio-économique difficile. Par conséquent, cette population aura plus de difficultés à basculer vers une alimentation plus variée après la mise en œuvre de la taxe.
Suite à l’introduction d’une taxe, le ‘changement de comportement’ est, de ce fait, minime chez les personnes socialement défavorisées. Certaines études ont d’ailleurs révélé que, suite à la taxe santé, la part de produits gras et sucrés dans la consommation connaîtrait une hausse auprès des personnes socialement défavorisées (parce qu’ils épargnent sur l’achat de produits ‘sains’ afin de ne pas changer leurs habitudes alimentaires). D’après Tirez, tout ceci serait sans conteste une preuve qu’une taxe santé est très ‘efficace’, en particulier pour cette tranche de la population. Cependant, la plupart des personnes concluraient que c’est simplement une mesure extrêmement asociale qui ne fait qu’empirer le cas de personnes ayant déjà des difficultés.
Effet boomerang
Prétendre qu’une taxe santé ne provoquera aucun changement de comportement semble plutôt naïf. Par ailleurs, ces changements de comportement pourraient prendre une autre tournure que prévu, notamment en augmentant les achats transfrontaliers et les vicieux effets de substitution. La taxe santé pourrait bien avoir un effet boomerang : moins d’emplois en Belgique sans que notre santé aille effectivement de l’avant.
Après l’introduction de la fameuse ‘taxe santé’ au Danemark, ‘’the economist’’ a conclu que 48 % des Danois effectuaient des achats transfrontaliers, et particulièrement en Allemagne. Un an après, la taxe a été supprimée sous de forts applaudissements. Considérer que ce ne sera pas le cas en Belgique, où 80 % de la population vit à moins de 50 km d’une frontière, c’est pour le moins être naïf.
Suite à la mise en œuvre de la taxe emballage sur les eaux et les boissons rafraichissantes en 2004, les achats transfrontaliers ont augmenté de 6 % chaque année. Ce qui fait le bonheur des chaînes de grandes distributions françaises qui à ce jour envahissent la Belgique de publicité, mais qui est néfaste pour l’emploi de notre pays. En sachant que l’industrie alimentaire est l’unique branche industrielle qui a pu garantir un emploi stable durant les dix dernières années, cette mesure semble être tout sauf une garantie de l’emploi, emploi, emploi, …
Nous avons d’ailleurs constaté que la taxe sur les boissons rafraichissantes stimule les consommateurs à acheter d’autres produits sucrés ou gras. En France, tout comme au sein des différents états américains, ce phénomène a été pénible suite à la mise en œuvre d’une taxe irréfléchie sur les boissons rafraichissantes. Par conséquent, les consommateurs achètent davantage de variantes moins chères d’un même produit (private label). Il s’agit ici encore une fois d’une mesure à effet boomerang : un mauvais changement de comportement, moins de revenus pour l’état, davantage de coûts pour des entreprises belges et aucun changement dans les habitudes alimentaires des Belges.
Trouvons ensemble une vraie solution
Si les taxes santés ne semblent pas être des ‘’quick win’’, quelle est alors la solution au problème du surpoids et de l’obésité ? Il est clair que l’industrie alimentaire a une part de responsabilité dans cette problématique. C’est pourquoi elle est favorable à collaborer afin de trouver une approche de fond à la problématique complexe liée à l’obésité. Après tout, une telle approche sous la forme d’une politique de santé mûrement réfléchie qui tient compte de l’offre et de la demande, et qui met tous les acteurs concernés dans le même bateau, va vraiment faire la différence.
Aux Pays-Bas, le gouvernement est, depuis de nombreuses années, le pionnier d’un large débat avec aussi bien l’industrie alimentaire que d’autres acteurs. Pensez notamment aux consommateurs, à l’horeca, à la distribution, à des experts en santé ou à l’enseignement. Mais cela va plus loin qu’un débat: le gouvernement entreprend des actions, toujours en concertation. Voici ce qui semble être difficile au sein de notre pays avec des compétences dispersées.
L’obésité est un sérieux problème et les causes sont complexes. La solution ne se trouve donc pas dans un simpliste ‘’quick fix’’. Un changement de comportement du consommateur pourra seulement avoir lieu lorsqu’une vraie politique de santé sera prise en compte par les différents facteurs qui influencent le problème. Pour y parvenir, il faut du temps et des concertations avec tous les acteurs – consommateurs, producteurs de denrées alimentaires et la distribution - coordonnées par le gouvernement. Vu le nombre de questions relatives à l’impact réel de la taxe sur les graisses et les sucres, l’industrie alimentaire plaide pour des investigations supplémentaires avant de passer à la mise en œuvre de la taxe.
Et pour terminer : l’industrie alimentaire ne veut pas échapper à ses responsabilités. Ainsi, ces dernières années, une importante réduction en sel dans les denrées alimentaires a été réalisée en dialogue avec le gouvernement belge. L’industrie alimentaire travaille également à la reformulation en ce qui concerne l’énergie (sucres et graisses), sans compromettre la qualité du produit final pour le consommateur. Continuons donc sur cette voie, et cessons toute expérience fiscale fâcheuse qui a un avenir incertain. Une taxe sur les graisses et sucres est une mauvaise idée (surtout si elle ne porte pas ses fruits).